JURISPRUDENCES
Droit à congés payés pendant un arrêt de travail : une mise en conformité de la Cour de cassation avec le droit européen

Par deux arrêts du 13 septembre 2023 (C. cass., 13 sept. 2023, n°s22-17.340 à 22-17.342, 22-17.638) la Cour de cassation écarte les dispositions du droit français non conformes au droit de l’Union européenne en matière de congés payés.

Pour rappel, la directive 2003/88/CE du 4 novembre, dans son article 7, impose à tous les États membres de l’UE de prendre « les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». La Cour de Justice de l’Union Européenne en 2012 avait déjà sanctionné l’État français en raison de la non-conformité de notre droit national à la directive européenne.

Par ailleurs, l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union prévoit notamment que tout travailleur a droit à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. Ce texte est un des fondements principaux sur lesquels s’appuie la Cour de cassation pour écarter l’application des dispositions du droit français.

Les dispositions contestées dans les décisions étaient les suivantes :

  • Selon le droit français, un salarié atteint d’une maladie non-professionnelle ne pouvait acquérir de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail.
  • Par ailleurs, l’indemnité compensatrice de congé payé devait être limitée à une seule année de suspension du contrat de travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
  • Enfin, était également questionné le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés.

La Cour de cassation met définitivement fin à ces non-conformités en considérant désormais que :

  • Les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non) doivent acquérir des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler – selon le droit de l’UE, l’arrêt de travail étant indépendant de la volonté du salarié, il ne peut avoir d’impact sur le calcul des droits à congés payés.
  • En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an – et doit pouvoir bénéficier d’un droit à congés payés couvrant l’intégralité de son arrêt de travail.

Délai de prescription :

Si les droits à congés payés sont assimilés à des créances salariales et se prescrivent par trois ans à compter de l’expiration de la période où ils auraient dû être pris, la Cour de cassation a, dans un troisième arrêt du 13 septembre, restreint la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la prescription en la matière.

La prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile (Cass soc 13 septembre 2023, n°22-10.529). L’employeur, confronté à une demande de rappel de congés, ne peut donc invoquer la prescription triennale que s’il justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent pour mettre le salarié en mesure de prendre ses congés. Ce qui, par définition semble difficile voire impossible pour le passé.

Quelles conséquences à ce revirement ?

Toutes les entreprises relevant du droit du travail français sont concernées par ces décisions et doivent, normalement s’y conformer dès à présent.

Pour le passé, les services de ressources humaines risquent d’être confrontés à des demandes de régularisation de la part de salariés ou d’anciens salariés ayant vu leur droit à congés annuels limités en raison d’un arrêt maladie ou d’un arrêt accident du travail supérieur à un an.

On peut également s’interroger sur l’impact particulier de ces décisions dans les professions pour lesquelles les congés payés sont gérés et mutualisés par le biais d’un système de caisses. Un récent flash info de la caisse congés intempéries du BTP sur le sujet annonce que « la décision fait l’objet de nombreuses analyses de la part des professionnels du droit en général et des experts du réseau CIBTP en particulier, en lien avec les Pouvoirs publics et les organisations professionnelles. » et explique qu’« en l’état, les effets concrets et les modalités d’application de ces évolutions du régime juridique sont en cours d’évaluation ».

Dans l’attente de nouvelles décisions de la Cour de cassation et d’une hypothétique mais fortement souhaitée intervention de l’exécutif ou des branches professionnelles, demeurent un grand nombre de questions qui ne manqueront pas d’occuper les entreprises et les praticiens, voire les juridictions sociales, dans les prochains mois.

En tout état de cause, ces arrêts d’une grande importance pratique peuvent représenter un coût financier important pour les entreprises qu’il peut s’avérer judicieux d’évaluer sans attendre.


Invalidation des forfaits jours des services de l’automobile et des prestataires de service du secteur tertiaire

Dans deux arrêts de juillet 2023 la Cour invalide les conventions de forfaits jours qui visent la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, du contrôle technique automobile ainsi que celles de la convention collective du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999 (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 juillet 2023, 21-23.387 ; Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 juillet 2023, 21-23.222).

La Cour de Cassation retient que les dispositions de ces deux conventions collectives : « ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé ».

La cour considère que ces conventions ne permettent pas d’assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

Ce qu’il faut retenir de ces arrêts :
Les conventions de forfait jours conclues sur la base d’accords collectifs incomplets ne seront plus frappées de nullité ni privées d’effet si l’employeur a mis en place les mesures supplétives suivantes prévues à l’article L. 3121-65 du Code du travail :

  1. L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié.
  2. L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.
  3. L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

 

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