ARTICLE 5 – UNE INTERPRETATION EXTENSIVE DU MOTIF DE DISPENSE D’AFFILIATION AU REGIME DE COMPLEMENTAIRE SANTE POUR UN SALARIE « AYANT DROIT »

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient, dans un arrêt du 7 juin 2023 (n° 21- 23.743), donner une interprétation extensive de la visée du motif de dispense d’affiliation au régime de complémentaire santé de son entreprise pour un salarié qui bénéficie, en tant qu’ayant droit, du régime complémentaire santé mis en place dans l’entreprise de son conjoint, en supprimant le caractère obligatoire de la couverture de l’ayant droit à ce régime.

Rappel des règles concernant le caractère collectif et obligatoire du régime de complémentaire santé :

Depuis le 1er janvier 2016, les employeurs doivent faire bénéficier leurs salariés de contrat complémentaire santé collectif et obligatoire. Un acte juridique vient encadrer ce régime de protection sociale complémentaire (décision unilatérale,
accord collectif ou référendum).

L’ensemble des salariés doit en être bénéficiaire (avec la possibilité de constituer des catégories objectives de bénéficiaires) et tous les salariés doivent obligatoirement y adhérer. Il existe toutefois des cas de dispense, dits de droit, permettant aux salariés qui le souhaitent de ne pas adhérer au contrat complémentaire santé de l’entreprise, sans qu’une clause en ce sens soit nécessairement insérée dans l’acte juridique.

Le code du travail présente les motifs de dispense suivants pour :

  • les salariés employés avant la mise en place de la couverture par décision unilatérale de l’employeur, si le financement de la couverture est pour partie salarial OU les salariés embauchés avant la modification de la garantie par décision unilatérale si celle-ci entraîne une remise en cause du financement intégral du dispositif par l’employeur
  • les salariés bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire ou couverts par une assurance individuelle lors de la mise en place des garanties ou lors de l’embauche si elle est postérieure, jusqu’à l’échéance du contrat individuel
  • les salariés sous CDD ou contrat de mission, si la durée de leur couvertureest inférieure à 3 mois et s’ils justifient bénéficier d’une couverture respectant les caractéristiques des contrats responsables ;

Par ailleurs, il existe également des possibilités de dispense dites « facultatives » qui peuvent être insérées dans l’acte juridique encadrant le régime.

Les salariés doivent présenter leur demande de dispense d’adhésion par écrit et transmettre, chaque année si nécessaire, les justificatifs du motif de la dispense d’adhésion invoquée. Ainsi, il est possible pour un salarié d’invoquer une dispense d’adhésion au régime de complémentaire santé de son entreprise, s’il est couvert, en tant qu’ayant droit, par un contrat complémentaire santé collectif, obligatoire et respectant les exigences des contrats responsables. Toutefois, se pose la question de savoir si l’adhésion du salarié, au contrat complémentaire santé de l’entreprise de son conjoint doit nécessairement être obligatoire, comme cela est exposé dans les arguments de l’URSSAF dans un contentieux faisant l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation en date du 9 mai 2019 (cass. 2e civ. 9-5-2019 n° 18-15.872) ou si elle peut être facultative, pour que le motif de dispense puisse être invoqué.

C’est la question à laquelle la chambre sociale de la Cour de cassation répond dans une affaire jugée le 7 juin 2023.

Dans cette affaire, le salarié prétendait se trouver, au titre de la qualité d’ayant droit de son épouse salariée, dans un cas de dispense d’adhésion au régime obligatoire de complémentaire santé mis en place par l’employeur et réclamait la restitution
des cotisations prélevées sur ses bulletins de salaire. Le salarié considérait que sa situation lui permettait de bénéficier du cas de dispense prévu dans sa convention collective de branche, qui fait référence aux dispositions de l’article R. 242-1-6 du code de la sécurité sociale, à savoir : « les salariés qui bénéficient pas ailleurs pour les mêmes risques, y compris en tant qu’ayants droit, d’une couverture collective relevant d’un dispositif de protection sociale complémentaire présentant un caractère collectif et obligatoire, sous réserve de le justifier chaque année ».

A l’inverse, l’employeur considérait que le salarié pouvait être dispensé d’adhérer à la couverture collective et obligatoire de son entreprise s’il justifiait bénéficier, à titre obligatoire, en qualité d’ayant droit de la couverture de son conjoint, salarié
dans une autre entreprise.

La Cour de Cassation rejette les arguments de l’employeur et considère que « la dispense d’adhésion au régime complémentaire collectif et obligatoire mis en place dans l’entreprise du salarié n’est pas subordonnée à la justification qu’il bénéficie en qualité d’ayant droit à titre obligatoire de la couverture collective relevant d’un dispositif de protection sociale complémentaire présentant un caractère collectif et obligatoire de son conjoint ».

La Cour de cassation donne une lecture antinomique à la doctrine antérieure de l’administration.

En effet, une circulaire 344 du 25 septembre 2013, précisait, s’agissant de l’article R 242-6-1 du CSS : « La dispense d’adhésion ne peut jouer, pour un salarié ayant droit au titre de la couverture dont bénéficie son conjoint salarié dans une autre entreprise, que si ce dispositif prévoit la couverture des ayants droit à titre obligatoire. » Toutefois, cette circulaire a été abrogée au 1er septembre 2022. Cela pourrait laisser supposer une volonté d’un assouplissement de l’interprétation des textes par l’administration.

Par ailleurs, la portée de cet arrêt reste relative et laisse de nombreuses questions en suspens. Est-ce que cette décision rendue en matière de contentieux prud’homal sera également une position confirmée par la 2e chambre civile dans le cadre d’un redressement de cotisations ? Est-ce que cette lecture du cas de dispense serait également applicable, de plein droit, sans que celui-ci ne soit mentionné dans l’acte juridique venant encadrer le régime ?

Enfin, il serait souhaitable que l’administration vienne rapidement apporter des précisions, notamment dans le BOSS, afin d’éclaircir sa position et d’évincer les doutes et risques de redressement qui pourraient subsister.

 

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