ARTICLE 4 – FORFAIT JOUR : UNE NOUVELLE JURISPRUDENCE RAPPELLE L’IMPORTANCE DE SÉCURISER LE DISPOSITIF AU SEIN DES ENTREPRISES

Depuis plusieurs années, la Cour de cassation effectue un contrôle minutieux des dispositions conventionnelles concernant les forfaits-jour (ou « forfaits en jour »). Elle a ainsi invalidé de nombreux accords de branche lorsqu’ils n’offraient pas de garanties suffisantes relatives à la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

La validité des conventions individuelles de forfait-jours conclues sur la base des accords pourrait dès lors être remise en question. Le risque principal étant la demande par le salarié d’un rappel de versement pour toutes les heures supplémentaires effectuées dans une limite des trois dernières années.

Le 14 décembre 2022, la Convention Collective des commerces de détail non alimentaires (IDCC 1617) a également vu invalider son accord de branche forfait jours sur ce fondement. Selon les juges du droit, l’accord de branches ne présentait pas de garanties suffisantes pour la protection de la santé et de la sécurité des salariés sous convention de forfait-jours.

Cette décision n’est pas inédite mais elle emporte des conséquences sociales importantes pour ce secteur d’activité.

Pour rappel un contrôle strict de la Cour de cassation

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (article L3121-64 du code du travail).

Le contrôle judiciaire du contenu de l’accord collectif de branche, essentiellement basé sur le principe précédemment exposé, s’est développé dès 2011, avec la vérification que ledit accord contienne véritablement des stipulations assurant « la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos ».

Dès lors, de nombreux accords collectifs de branche ont fait l’objet de contrôles, ayant pour conséquence la nullité de la convention de forfait en jours.

Le contentieux sur ce sujet s’est donc particulièrement développé, et ce dans tous les secteurs d’activités.

Parmi les nombreuses dispositions conventionnelles de branche, seuls deux accords ont été jugés conformes à ces exigences :

  • L’accord du 28 juillet 1998 de la convention collective de la Métallurgie,
  • L’accord du 29 mai 2001 de la convention collective de la Banque.

A l’inverse, et depuis 2011, pas moins de 18 accords de branche relatifs au forfait jours ont pu être invalidés.

Certaines conventions collectives ont pu apporter un avenant correctif à ces décisions, nécessitant d’adapter éventuellement les conventions individuelles de forfait-jours signées avec les salariés, notamment :

  • Bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC).
  • Commerces de gros.
  • Hôtels, cafés, restaurants (HCR).
  • Import-Export.
  • Immobilier.

Cependant, d’autres branches n’ont toujours pas apporté d’avenants rectificatifs, nécessitant des actions correctives au sein des entreprises et associations concernées pour pouvoir maintenir ou mettre en place des conventions individuelles de forfait jours conformes aux exigences légales :

• Bricolage,
• Hospitalisation privée à but lucratif,
• Industrie de l’habillement,
• Industries chimiques…

Le 14 décembre dernier, c’était donc au tour de l’accord de branche relatif au forfait-jours de la Convention Collective des commerces de détail non alimentaires de se voir retoquer par la Cour de cassation.

La nullité de la convention de forfait-jours issue de l’accord de branche de la Convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires. Décision de la chambre sociale de la Cour de cassation : Cass. soc., 14 décembre 2022, n°20-20.572, FS-B.

Un salarié, dont la relation de travail est soumise à la Convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012, signe une convention de forfait annuel en jours par avenant à son contrat de travail.

Ce salarié saisit la juridiction prud’homale afin de solliciter l’inopposabilité de la convention de forfait en jours. La Cour d’appel déboute le salarié de sa demande tendant à reconnaître la nullité de la convention de forfait annuel en jours.

La Haute juridiction casse toutefois la décision des juges du fond. Aux yeux des juges du droit, l’article 3.2.1. de l’accord du 5 septembre 2003 de l’accord de branche du 9 mai 2012 se borne à prévoir :

  • Un décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris établi mensuellement par l’intéressé (les cadres concernés doivent remettre, une fois par mois à l’employeur qui le valide, un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours ou de demi-jours de repos pris et ceux restant à prendre).
  • Le suivi de l’organisation du travail.
  • Le contrôle des jours effectué, soit au moyen d’un système automatisé, soit d’un document auto-déclaratif (le document signé par le salarié et par l’employeur est conservé par ce dernier pendant trois ans et tenu à la disposition de l’inspecteur du travail).

Par ces éléments, la chambre sociale de la Cour de Cassation conclut que l’accord de branche :

  • N’institue pas de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.
  • N’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

La convention individuelle de forfait en jours, basée sur l’accord collectif de branche, a donc été jugée nulle. La simple auto-déclaration des jours travaillés par les cadres ne suffirait pas à déduire que le temps de travail est raisonnable en pratique.

Les conséquences et solutions à apporter à cette décision

Toute convention individuelle de forfait en jours qui reprendrait pleinement les dispositions de l’accord de branche de la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires est aujourd’hui sujette à une invalidation en cas de contentieux.

Une convention de forfait en jours nulle est réputée n’avoir jamais existé. Ainsi, les règles de droit commun concernant la durée du travail s’appliquent de manière rétroactive. Le salarié pourrait alors justement réclamer :

  • Le règlement d’heures supplémentaires majorées s’il a travaillé au-delà de la durée légale (à condition que la preuve en soit apportée).
  • Les contreparties obligatoires en repos…

Il est à noter que l’employeur peut, quant à lui, solliciter le remboursement des jours de repos supplémentaires dont le salarié a bénéficié en application de la convention de forfait-jours annulée (Ch. Sociale, 6 janvier 2021, n° 17-28.234).

Ainsi, deux solutions peuvent être envisagées :

1. L’adoption d’un accord d’entreprise
Afin de sécuriser pleinement les accords de branche qui font défaut, et qui pourraient faire défaut, il peut être utile de conclure directement des accords d’entreprise sur ce sujet, incorporant les préconisations indiquées au sein de cet article concernant le suivi de la charge de travail.

2. L’adaptation de la partie « suivi de la charge de travail et des temps de repos » au sein des conventions individuelles de forfait-jours
Le législateur est intervenu le 8 août 2016, dans le cadre de la « loi Travail ». L’objectif légal a été de contenir le contentieux en nullité des conventions de forfait, en permettant aux entreprises, par référence à l’article 3121-65 du Code du travail, de justifier du respect dans les faits du suivi de la charge de travail et des temps de repos.

Il s’agit alors d’incorporer au sein des conventions individuelles de forfait-jours, au-delà du contenu de l’accord collectif de branche, des mesures supplémentaires sur le suivi de la charge de travail et des temps de repos, pour compléter les éventuelles carences de l’accord présent au sein de la convention collective.

On peut ainsi prendre du recul sur cette décision et encourager chaque employeur à :

  • Vérifier le contenu des accords collectifs d’entreprise et des conventions individuelles de forfait en jours, principalement à propos des mesures de suivi de la charge de travail, au vu des exigences de la Cour de Cassation (un décompte du temps de travail visé de manière hebdomadaire et non mensuelle ? Une meilleure planification des tâches confiées ?).
  • Continuer à invoquer les dispositions de l’article L. 3121-65 du Code du travail précité, tout en faisant évoluer la pratique du suivi effectif et régulier de la charge de travail tel que précité. Ainsi, au regard des contestations quasi-systématiques des conventions de forfait en jours, on ne saurait trop conseiller aux employeurs de se saisir du sujet et de venir définir une stratégie afin de gagner en sécurité juridique.

 

 < Précèdent | Suivant >