JURISPRUDENCES

DISCRIMINATION : à quelques centimes près

Cour de Cassation. 14 février 2024, n° 22-10.513

En 1996, la Cour de Cassation a posé le principe « à travail égal salaire égal » qui consiste à viser l’égalité de rémunérations entre les salariés ayant une situation identique au sein d’une société.

 

Par rémunération, il faut entendre le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

 

L’employeur doit appliquer une égalité salariale pour tous les salariés placés dans une situation identique (ayant le même poste, tâches et responsabilités).

 

Sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

Le code du travail et la Jurisprudence ont admis que certaines raisons objectives pouvaient justifier la différence de traitement entre deux ou plusieurs salariés notamment les diplômes attestant de connaissances spécifiques nécessaires à l’exercice de la fonction occupée, l’ancienneté (si celle-ci n’est pas déjà prise en compte par le versement d’une prime d’ancienneté), l’expérience professionnelle, la réalisation de tâches plus larges avec une technicité particulière, les responsabilités (exemple rôle d’encadrement), les qualités professionnelles (lors d’éventuelles augmentations de salaire).

Dans cette affaire du 14 février 2024, un salarié, reconnu travailleur handicapé depuis 1998, est engagé en qualité d’aide bobineur à compter du 16 juin 2005 par une papeterie industrielle. Il a été licencié le 16 novembre 2016 pour motif disciplinaire. Il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail, dont des dommages-intérêts pour discrimination salariale.

La Cour d’appel (Nancy, 18-11-2021) lui donne raison en déduisant l’existence d’une discrimination de la seule différence de 10 centimes par heure entre le montant d’une prime versée au salarié et celui alloué à un autre membre du personnel.

La Cour d’appel qui, après avoir relevé que le salarié se plaignait d’une discrimination salariale fondée sur sa situation de travailleur handicapé, a constaté que sa rémunération était inférieure à celle de son collègue de travail accomplissant le même travail, faisant ainsi ressortir que cet élément laissait présumer l’existence d’une discrimination.

 

La Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel qui a estimé dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que l’employeur ne démontrait pas que cette différence de traitement était justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination en raison du handicap.

Les employeurs doivent être particulièrement vigilants sur le respect de l’égalité de traitement entre les salariés, et particulièrement lorsque des différences même minimes de rémunération ne pourront être justifiées par l’une des raisons objectives indiquées en préambule.

Prévoyance et liquidation judiciaire : pas de portabilité si le contrat a été résilié.

Cour de Cassation 15 Février 2024 n° 22-16132FB

Par un arrêt du 15 février 2024, la Cour de cassation, tout en rappelant que les salariés licenciés en cas de liquidation judiciaire de leur entreprise peuvent bénéficier du dispositif de portabilité des garanties frais de santé et prévoyance prévu par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, juge que la résiliation annuelle du contrat d’assurance met un terme au maintien des garanties pour les salariés licenciés, même si cette résiliation intervient après le licenciement

La Cour avait déjà jugé que ce dispositif impliquait l’absence de résiliation du contrat liant l’employeur à l’organisme assureur. Mais les conditions de cette résiliation demeuraient incertaines. Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte des éclaircissements importants.

Rappel des décisions antérieures et des enjeux

Pour rappel, l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité Sociale prévoit pour les salariés justifiant d’une rupture du contrat de travail, hors licenciement pour faute lourde, et ouvrant droit à une période de chômage indemnisé, le maintien gratuit pendant 12 mois des garanties frais de santé et de prévoyance applicables dans leur ancienne entreprise (dispositif dit de portabilité).

Mais, la question de la portabilité des garanties frais de santé et de prévoyance des salariés licenciés en cas de liquidation judiciaire fait débat depuis plusieurs années.

Au fil de ces jurisprudences, la Cour de cassation a émis plusieurs avis afin de lever les difficultés générées par la mise en liquidation judiciaire de l’employeur. Elle a ainsi dégagé les principes suivants (avis de la Cour de Cassation, 6 Novembre 2017, n° 17-70.011, n° 17-70.012, n° 17-70.013, n° 17-70.014 et n° 17-70.015 ; 2ème Chambre Civile., 5 Novembre 2020, n° 19-17.164) :

  • Les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale d’ordre public sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire ;
  • Le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié.

La résiliation du contrat d’assurance

L’article L932-10 du Code de la sécurité sociale dispose que « La garantie subsiste en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement ou de liquidation judiciaires de l’adhérent. En cas de résiliation du bulletin d’adhésion ou du contrat en application de l’article L. 622-13 du code de commerce, la portion de cotisation afférente au temps pendant lequel l’institution de prévoyance ou l’union ne couvre plus le risque est restituée au débiteur ».

Demeurait une incertitude quant à savoir si un organisme assureur pouvait, en vertu des dispositions de l’article L. 113-12 du code des assurances, résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an par l’envoi d’une lettre recommandée au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat.

En avril 2023, la Cour d’appel de Paris avait donné raison à un assureur qui, après avoir mis en œuvre la portabilité après des licenciements prononcés suite à une liquidation judiciaire, avait résilié le contrat quelques mois plus tard, en application de l’article l. 113-12 du Code des assurances (CA Paris, Pôle 5 chambre 10, 3 avril 2023, n° 21/03429).

Dans son arrêt du 15 février 2024, la Cour de cassation adopte la même analyse.

Fin de la portabilité … ?

Dans cette affaire, une société, qui avait souscrit un contrat collectif d’assurance complémentaire santé au bénéfice de ses salariés, a été placée en liquidation judiciaire. La cessation définitive d’activité était prononcée par jugement du 2 avril 2019. À la suite de cela, les salariés ont été licenciés pour motif économique, avec une fin de préavis en août 2019 pour les derniers d’entre eux et un mandataire liquidateur a été désigné.

Le 24 octobre 2019, l’assureur du régime santé et prévoyance de l’entreprise a résilié le contrat à son échéance annuelle, avec effet au 31 décembre 2019.

Les anciens salariés se sont ainsi retrouvés sans garanties dès le 1er janvier 2020. Face à cette situation, le liquidateur a fait souscrire aux salariés concernés des contrats frais de santé individuels dont il a assuré le financement. Il a ensuite assigné en justice l’assureur aux fins de le voir condamner à assurer le maintien des garanties et d’obtenir le remboursement des sommes au titre des contrats individuels souscrits.

La Cour d’appel de Paris a fait droit à sa demande. Les juges ont en effet considéré que l’assureur concevait comme le prévoit la loi, la possibilité de résilier le contrat d’assurance à l’échéance annuelle, mais que cette résiliation « n’affectait pas les garanties en vigueur, au jour de leur licenciement, des anciens salariés ». En d’autres termes, pour la cour d’appel, la résiliation du contrat d’assurance était certes possible après licenciement mais n’avait aucun effet sur la portabilité des droits des salariés licenciés.

La Cour de cassation rejette cette interprétation. Elle rappelle d’abord sa position connue de longue date : les dispositions relatives à la portabilité sont d’ordre public et sont donc applicables en cas de liquidation judiciaire, mais à la condition que le contrat d’assurance qui lie l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. Elle affirme toutefois que cette résiliation met un terme au maintien des garanties au bénéfice des anciens salariés, et ce, peu important qu’elle intervienne après le licenciement des salariés concernés.

C’est désormais clair : l’organisme assureur peut valablement résilier le contrat d’assurance à sa date d’échéance annuelle, y compris pendant la période de portabilité de douze mois. Dès lors que la résiliation du contrat est valable, l’organisme assureur est dispensé de toute obligation de maintien postérieurement à la cessation du contrat d’assurance.

Par cet arrêt, une limite structurelle du mécanisme de la portabilité est mise en évidence et entraînera des incidences sociales importantes.

Espérons que cette jurisprudence relance le débat sur la mise en place d’un fonds spécifique de mutualisation afin de prendre en charge le financement de la portabilité pour les entreprises en liquidation judiciaire…

Rémunération variable et fixation des objectifs

Cour de Cassation 31 janvier 2024 n°22-22709F-D

Le principe de la rémunération variable en fonction d’objectifs

 

Pour rappel, un employeur ne peut fixer et modifier des objectifs définis unilatéralement dans le cadre de son pouvoir de direction qu’à deux conditions :

 

  • D’’une part, les objectifs fixés doivent être réalistes et réalisables, faute de quoi il ne peut être reproché au salarié de ne pas les avoir atteints ;
  • D’autre part, les objectifs doivent être portés à la connaissance du salarié en début d’exercice, sauf si des circonstances particulières rendent impossible leur fixation à cette date, ce que le juge doit contrôler. Peu importe que la modification ait une incidence favorable ou défavorable sur le montant de la rémunération variable.

Dans une affaire jugée le 31 janvier 2024, la Cour de cassation rappelle que l’employeur peut modifier des objectifs qu’il a fixés unilatéralement, mais à condition d’en informer le salarié en début d’exercice.

A défaut, la part variable lui est intégralement due.

 

En l’espèce, un salarié réclamait le paiement de l’intégralité de sa part variable, sur le principe qu’aucun objectif ne lui avait été fixé à son arrivée dans l’entreprise. Il avait pourtant été informé des objectifs à atteindre en cours d’exercice, ce qui avait permis à la cour d’appel de le débouter de sa demande.

 

Dans l’affaire, l’employeur avait seulement prévenu le salarié en novembre que ses objectifs seraient revus en janvier et ce, pour un exercice d’octobre N à septembre N+1.

 

De son côté, la Cour de cassation considère que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice.

 

À défaut, le montant maximal prévu pour la part variable doit être payé intégralement au salarié comme s’il les avait réalisés.

 

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel qui, pour elle, ne pouvait débouter de sa demande en paiement de la part variable de sa rémunération.

 

L’affaire est donc renvoyée devant la Cour d’appel de Paris pour être rejugée.

 

Partage de la preuve en matière d’heures supplémentaires

Cour de Cassation du 10 Janvier 2024 n° 22-17917

 

Preuve des heures supplémentaires : Rappel

 

Les heures supplémentaires sont les heures effectuées au-delà de la durée légale du travail, soit au-delà de 35 heures par semaine, ou en cas d’aménagement du temps de travail, au-delà de la durée afférente à la période de référence (1607 heures annuelles par exemple).

 

Les heures supplémentaires sont effectuées à la demande (écrite ou orale) de l’employeur mais la demande de l’employeur peut parfois être implicite.

 

  • C’est le cas lorsque l’employeur a tacitement admis la réalisation des heures supplémentaires.
  • C’est également le cas lorsque les heures supplémentaires sont le résultat de la quantité du travail ou de la nature du travail demandé au salarié.

 

Faisant application d’une jurisprudence constante, la Cour de cassation rappelle que dans l’hypothèse où les heures supplémentaires n’ont pas été expressément demandées par l’employeur, ce dernier se doit soit de prouver qu’il a refusé l’accomplissement de ces heures, soit que ces heures supplémentaires n’étaient pas indispensables à la réalisation des tâches confiées.

 

Sur qui repose la preuve des heures supplémentaires accomplies en cas de litige ?

 

La charge de la preuve est partagée entre le salarié et l’employeur.

 

Selon l’arrêt attaqué (Cour d’Appel, Paris, 20 avril 2022), le salarié a été engagé en qualité de directeur du bureau de représentation France et de directeur grands comptes pour les sociétés françaises le 3 Novembre 2008 par la société United bank for Africa.

 

Le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 28 août 2017.

 

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale, le 26 septembre 2017, aux fins de faire juger que sa prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir la condamnation de ce dernier à lui payer diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

 

En application de l’article L. 3171-2 du code du travail, lorsque les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur est tenu d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

 

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

 

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

 

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

 

Il en résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

 

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

 

Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, la Cour d’appel retient qu’au soutien de ses prétentions, l’intéressé produit un tableau correspondant à une addition des heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées hebdomadairement, de la semaine 30 de 2014 à la semaine 27 de 2017, sans décompte quotidien, sans aucune amplitude horaire de ses journées ou même hebdomadaire. Il en conclut que le salarié ne produit pas d’éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Il ajoute que la liasse de mails produite ne saurait pallier cette insuffisance.

 

En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, la Cour de cassation estime que la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

 

La Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel.

 

La simple fourniture d’un tableau sans détail et d’une liasse d’e-mails est donc un commencement de preuves suffisant pour la Haute Juridiction.

 

L’employeur doit respecter le principe de l’article L 3171-2, à savoir établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail ce qui sera pour lui le seul moyen de se défendre !

 

Les mesures supplétives de l’article L 3121-65 du Code du travail sur le suivi de la charge de travail d’un salarié en forfait jours s’imposent à l’employeur.

Cour de cassation, Chambre sociale, 10 janvier 2024, n°22-15.782

 

Dans une affaire jugée le 10 janvier 2024, la Cour de cassation s’est prononcée sur les obligations de l’employeur afin qu’une convention de forfait en jours soit valable.

 

L’article L. 3121-64 du Code du travail précise ce que doit déterminer l’accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours.

« […] II. – L’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

  • Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
  • Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise […] »

L’article L. 3121-65, I. du Code du travail prévoit, quant à lui, des dispositions supplétives : à défaut d’accord respectant l’article précédent, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve de respecter les trois conditions cumulatives suivantes :

  • « L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
  • L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
  • L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. »

En l’espèce, un salarié, licencié, était embauché sous convention de forfait en jours. Conformément à la première condition de l’article L. 3121-65, l’employeur avait mis en place un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées et celui-ci avait été validé par le salarié. Cependant, le salarié alléguait qu’il lui a été interdit de procéder à toute modification du document.

 

 

La Cour d’appel a décidé d’annuler la convention de forfait en jours pour les raisons suivantes :

  • L’accord collectif, permettant le recours au forfait en jours n’était pas conforme à l’article L. 3121-64. Il convient donc de vérifier le respect des exigences de l’article L. 3121-65 :
  • Non-respect de la 2ème condition : les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié ; peu important qu’ils aient été renseignés par ce dernier puisque les tableaux doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur. Ainsi, l’employeur ne pouvait pas s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire.
  • Non-respect de la 3ème condition : l’employeur n’avait pas organisé l’entretien annuel obligatoire avec le salarié pour évoquer sa charge de travail.

 

La Cour de Cassation valide la décision de la Cour d’Appel.

Lorsque l’accord collectif, prévoyant le recours au forfait en jours, n’est pas conforme aux exigences de l’article L. 3121-64, II. 1° et 2° :

  • Une convention de forfait en jours ne peut être valablement conclue que si et seulement si l’employeur respecte l’ensemble des conditions cumulatives de l’article L. 3121-65, dont les mesures supplétives s’imposent à l’employeur.
  • A défaut, en cas de manquement de l’employeur à l’une de ces obligations prévues par l’article L. 3121-65, la convention de forfait en jours est nulle (ce qui est le cas en l’espèce).

Cet arrêt permet de rappeler qu’en l’absence de dispositions conventionnelles suffisantes, l’employeur peut prévoir des mesures supplétives qui doivent impérativement être respecter. A défaut, le forfait en jours est nul et le salarié peut réclamer le paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de 35 heures par semaine.

Si le forfait annuel en jours peut apparaître pour certains employeurs comme un moyen de contournement pour le décompte des heures supplémentaires, il n’en demeure pas moins un outil risqué dans sa mise en œuvre : les conditions de suivi devront être appliquées de façon particulièrement stricte pour éviter tout risque juridique et financier.

Temps partiel annualisé : la requalification à temps complet s’apprécie au regard du volume annuel légal (1607 heures) ou conventionnel s’il est inférieur.

Cour de cassation, Chambre sociale, 7 février 2024, n°17692

 

Un accord d’entreprise aménageait la durée du travail sur l’année et prévoyait que la durée de travail des salariés à temps partiel était inférieure à 1600 heures. Une salariée à temps partiel annualisé, dont l’horaire hebdomadaire dépassait ponctuellement le seuil du temps complet, a demandé la requalification de son contrat à temps complet.

  • Seuil de la durée légale de travail à temps complet : 1607 heures /an (article L. 3121-27 du Code du travail).
  • Seuil conventionnel : 1600 heures /an.

La Cour de cassation rappelle qu’il « résulte de la combinaison des articles L. 3121-41, L. 3121-44, L. 3123-9 et L. 3123-20 du Code du travail qu’en cas d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les heures complémentaires ne peuvent pas avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau du seuil de la durée légale du travail correspondant à la période de référence, ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement. »

En cas de période de référence annuelle, les heures complémentaires ne peuvent donc porter la durée de travail d’un salarié à temps partiel au niveau du seuil légal de 1607 heures ou du seuil conventionnel s’il est inférieur.

Dans cette affaire, le seuil conventionnel est de 1600 heures : il est inférieur au seuil légal.

Pour la Cour de cassation, la requalification du contrat à temps complet s’apprécie au regard du seuil annuel conventionnel de 1600 heures et non au regard du seuil légal de 1607 heures qui lui est supérieur.

Sur la demande de requalification de la salariée à temps partiel annualisé, le dépassement de son horaire hebdomadaire étant ponctuel, sans que la durée annuelle de travail de 1600 heures ne soit dépassée, sa demande de requalification de son contrat de travail à temps complet doit être rejetée.

La requalification du contrat à temps complet s’apprécie donc au regard du seuil annuel, peu important que le seuil horaire hebdomadaire de 35 heures soit ponctuellement dépassé.

La chute d’un salarié déneigeant son véhicule garé sur une place extérieure à son domicile peut être un accident de trajet

Cour de cassation, Chambre sociale, 29 février 2024, n°22-14592

 

Dans une affaire jugée le 29 février 2024, la Cour de cassation s’est prononcée sur le caractère professionnel d’un accident survenu à un salarié, sorti de son domicile avant de se rendre au travail, pour déneiger son véhicule garé à l’extérieur.

Le principe de l’accident de trajet

 

Selon l’article L. 411-2 du Code de la sécurité sociale, est considéré comme accident de trajet l’accident survenu au cours du trajet normal aller et retour accompli par le salarié :

  • Soit entre son lieu de travail et sa résidence principale. Une résidence secondaire présentant un caractère de stabilité ou tout autre lieu qu’il fréquente habituellement pour des motifs d’ordre familial peut également être concernée ;
  • Soit entre son lieu de travail et le lieu où il prend habituellement ses repas, dans la mesure où le parcours n’a pas été interrompu ou détourné pour un motif dicté par l’intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante ou indépendant de l’emploi.

Le trajet protégé commence ou se termine, à la limite de la résidence, point de départ du déplacement, et le lieu de travail que le salarié rejoint ou quitte.

Ainsi, et en principe, le salarié doit se trouver hors de sa résidence. C’est sur cette règle qu’avait déjà pu être exclu de la qualification d’accident de trajet l’accident qui survient dans les dépendances immédiates de la maison, telles que les escaliers ou le jardin (Cour de Cassation, Chambre Sociale. 23 Mai 1997, n° 95-20433 D).

L’affaire jugée le 29 février 2024 concerne un salarié qui tombe et se blesse alors qu’il est en train de déneiger et dégager son véhicule sur une place extérieure située devant son domicile.

Deux précisions sont apportées dans cette affaire et posent ici question sur la reconnaissance de l’accident de trajet :

  1. Le salarié sort de chez lui, mais avant de prendre la route, il dégage sa voiture de la neige.

 

  1. De plus, pour tenir compte du temps de trajet rallongé au vu des conditions météo, il est en avance sur son horaire habituel.

Ces éléments empêchent-ils la qualification d’accident de trajet ?

 

Rappel : L’accident de trajet est à distinguer de l’accident de travail. Cet accident survenant en dehors du lieu de travail implique que le salarié n’est pas placé sous l’autorité de son employeur, contrairement à l’accident de travail.

Par ailleurs, les accidents de trajet ne relèvent pas du code du travail et ne bénéficient donc pas des mécanismes de protection prévus en matière d’accident du travail par ledit code.

 

L’importance des circonstances de faits et de l’appréciation souveraine des juges de fond

 

Dans un premier temps, la CPAM refuse au salarié la prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle comme accident de trajet. Le salarié sollicite alors un recours auprès d’une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale qui reconnaît l’accident de trajet.

Dans un deuxième temps et en appel, la CPAM conteste cette reconnaissance estimant que le trajet débute lorsque l’assuré quitte sa résidence et qu’il ne s’étend pas à des actes le précédant ou le préparant, reprochant également aux juges de de ne pas avoir vérifié que le lieu de l’accident n’était pas en fait un lieu privé.

 

La Cour d’appel retient toutefois le caractère professionnel de l’accident. Sa décision est ensuite validée par la Cour de cassation. La Cour souligne que les premiers juges ont relevé que :

 

  • la victime a déclaré avoir fait une chute, alors qu’elle était sortie de son domicile pour procéder au déneigement et au dégagement de son véhicule garé sur une place extérieure située devant celui-ci ;
  • L’heure de survenance des faits est compatible avec les nécessaires précautions prises par la victime pour anticiper les difficultés de circulation inévitables en cas d’intempéries et être en mesure de se présenter sur le lieu de son travail à son horaire habituel de prise de poste ;
  • Les lésions de la victime, constatées le jour-même et imputées à sa chute, sont compatibles avec sa relation des faits ;
  • la victime n’a pas interrompu ou détourné son trajet entre la sortie de son domicile et le lieu de son travail pour un motif dicté par son intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante.

 

Une présomption d’imputabilité facilitée

 

Cette décision favorise la présomption d’imputabilité qui s’applique lorsque l’accident survient au temps et sur le trajet normal. La Cour de cassation nous rappelle ici que même en cas de retard ou d’avance par rapport à l’horaire normal, le salarié pourra toujours établir que le trajet effectué reste en relation avec l’exécution de son travail pour justifier la caractérisation d’un accident en accident de trajet.

 

En l’espèce, il est ainsi admis que le salarié, parti en avance de son domicile pour tenir compte des conditions météorologiques, puisse procéder avant de prendre son véhicule au déneigement de celui-ci.

 

Rappel : L’accident de trajet ouvre droit à la même indemnisation de Sécurité Sociale qu’un accident du travail (IJSS d’accident du travail sans délai de carence, rente ou indemnité en capital en cas d’incapacité permanente ou partielle, notamment). En revanche et à l’inverse de l’accident du travail :

  • Un salarié ne peut pas invoquer une faute inexcusable en cas d’accident de trajet ;
  • Les accidents de trajet n’ont pas d’incidence directe sur la tarification de la cotisation AT/MP de l’entreprise (y compris pour les entreprises en tarification mixe ou individuelle).

 

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