JURISPRUDENCES

Harcèlement moral et rupture conventionnelle : l’exigence d’un consentement non vicié

  • Conseil d’Etat 13/04/2023 n°459213

L’existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination a-t-elle un impact sur la rupture conventionnelle du contrat de travail d’un salarié protégé ?

C’est la question à laquelle a dû répondre le Conseil d’État dans un arrêt du 13 avril dernier : le Conseil d’Etat n’a pas invalidé une rupture conventionnelle, suite à la demande d’un salarié protégé, invoquant du harcèlement à son encontre.

Il est rappelé que la rupture conventionnelle entre l’employeur et un salarié protégé fait l’objet d’une procédure spécifique nécessitant une autorisation de la part de l’inspection du travail. C’est cette décision qu’a souhaité contester le salarié protégé.

En l’espèce, la rupture conventionnelle était valable, compte tenu du fait que le harcèlement moral ou la discrimination syndicale, n’avaient pas directement impacté le consentement de du salarié.

Rappel : La rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’employeur ou le salarié (article L 1237-11 c.trav.), Elle est la volonté partagée entre l’employeur et le salarié de mettre fin à leur relation du travail. Le consentement doit être libre et éclairé pour chacune des parties : s’il s’avère que l’un des consentements a été vicié, ladite convention sera annulée et aura alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’existence, au moment de la conclusion d’une rupture conventionnelle, d’un différend entre l’employeur et le salarié n’affecte pas, en soi, la validité de la convention de rupture.

Conditions de validité :
L’employeur ne doit pas faire pression sur le salarié, ni le menacer pour qu’il accepte la rupture conventionnelle. Cependant, la rupture conventionnelle est envisageable dans des circonstances ou le consentement libre et éclairé du salarié semble difficile à exprimer. C’est notamment le cas lorsqu’elle survient dans un contexte de harcèlement moral.

La présente décision est conforme à la jurisprudence de la la Cour de cassation, selon laquelle une situation de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la rupture conventionnelle. Le vice du consentement n’étant pas présumé, il appartient au salarié de le caractériser.

Par conséquent, le harcèlement moral n’est pas incompatible avec la rupture conventionnelle dans la mesure où le consentement du salarié n’a pas été vicié.

Obligation de reclassement d’un salarié inapte sur un poste en télétravail

  • Cour de cassation chambre sociale 29-3-2023 n° 21-15.472

Rappel de la constatation de l’inaptitude (dans le cas où le médecin du travail n’a pas fait usage d’une mention de dispense de reclassement en cochant sur le formulaire d’inaptitude une des deux mentions prévues par l’article L.1226-2-1 du Code du travail) :

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, il bénéficie d’un droit au reclassement. L’employeur est tenu de rechercher un autre emploi approprié aux capacités du salarié, en tenant compte des conclusions écrites du médecin du travail, notamment des indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise (C. trav., art. L. 1226-2 et L. 1226-10).

L’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail. Par ailleurs, une jurisprudence constante exige que la proposition d’un reclassement soit sérieuse et loyale.

Dans cet arrêt, une salariée secrétaire médicale responsable d’un service de santé au travail, avait été déclarée inapte à son poste de travail. L’avis d’inaptitude précisait qu’elle  »pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2 jours par semaine) en télétravail avec aménagement du poste approprié ».

L’employeur licencie la salariée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Cette dernière conteste la validité de son licenciement et demande des dommages-intérêts. La cour d’appel lui fait droit au motif que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement en n’aménageant pas le poste occupé par la salariée en télétravail. Elle estime que l’aménagement de poste de la salariée par sa transformation en un emploi à domicile faisait partie intégrante de l’obligation de reclassement incombant à l’employeur.

L’employeur forme un pourvoi. Il défend l’argument selon lequel l’employeur n’est pas tenu de créer spécifiquement un poste adapté aux capacités du salarié. Il considère qu’il ne peut se voir imposer d’aménager en télétravail le poste de la salariée que si le télétravail a été mis en place au sein de l’entreprise. Or il n’existait aucun poste en télétravail au sein du centre de santé au travail. En outre, le télétravail ne serait pas, selon lui, compatible avec l’activité de la salariée qui requiert le respect du secret médical.
La Cour de cassation rejette l’argumentation de l’employeur et confirme l’arrêt d’appel. Elle relève que les missions de la salariée à son poste de « coordinateur » ne supposaient pas l’accès aux dossiers médicaux et, étaient susceptibles d’être pour l’essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le médecin du travail.

Elle ajoute qu’il n’est pas nécessaire que le télétravail soit mis en place dans l’entreprise pour être proposé au salarié dans la mesure où l’aménagement d’un poste en télétravail peut résulter d’un avenant au contrat de travail.

Il en résulte que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement.

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt :
En cas d’inaptitude d’un salarié avec recherche de reclassement, les employeurs devront être vigilants lors de leurs recherches et envisager la possibilité de recourir au télétravail même si l’entreprise ne l’a pas mis en place

Validité de l’inaptitude constatée pendant la suspension du contrat de travail du salarié

  • Cour de cassation chambre sociale 24-05-2023 n° 22-10.517

Un salarié placé en arrêt maladie a sollicité un examen médical au terme duquel le médecin du travail l’a déclaré inapte. Il a ensuite été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le salarié s’est pourvu en Cassation et fait grief à l’arrêt de la Cour d’Appel de dire que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse alors que son « médecin du travail ne peut pas constater l’inaptitude du salarié à son poste de travail à l’issue d’une visite médicale, demandée par ce salarié pendant la suspension de son contrat de travail en raison d’un arrêt de travail pour maladie ».

L’article R. 4624-42 du code du travail qui prévoit que l’inaptitude ne peut être constatée qu’après un examen médical auprès du médecin du travail n’impose pas que la constatation de l’inaptitude soit faite lors d’un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail. Le médecin du travail peut la constater après tout examen médical qu’il pratique au cours de l’exécution du contrat (Cass. soc., 8 avr. 2010, n° 09-40.975).

La problématique était donc de savoir si l’avis d’inaptitude prononcé par le médecin du travail lors d’un examen médical demandé par le salarié pendant son arrêt de travail était valable ?

La Cour de cassation répond qu’il résulte de la combinaison des articles R. 4624-34 et R. 4624-4 que le médecin du travail peut constater l’inaptitude d’un salarié à son poste à l’occasion d’un examen réalisé à la demande de celui-ci sur le fondement de l’article R. 4624-34 du code du travail, peu important que l’examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail.

Elle précise que tel est le cas lorsque l’avis d’inaptitude remplit les conditions légales de forme du licenciement pour inaptitude.

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt :

Le médecin du travail peut constater l’inaptitude d’un salarié à son poste à l’occasion d’un examen réalisé à la demande de celui-ci, peu important que l’examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail.

Point d’attention : Il ne faut pas confondre avec la visite de pré reprise qui peut aussi être demandée par le salarié pendant la suspension de son contrat dès lors qu’elle excède 30 jours (c. trav., art. L. 4624-2-4 et R. 4624-29). Cette visite ne donne pas lieu à un avis d’inaptitude

 

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