Jurisprudences

Rémunération variable et arrêt de travail : le salaire de référence retenu pour le maintien de salaire doit être significatif

 

Cass. soc. 14 mai 2025, n°23-20966

Maintien de salaire et rémunération variable : rappel

Dans le cadre du régime d’indemnisation complémentaire des arrêts de travail prévu par le code du travail (c. trav. art. L. 1226-1), le niveau d’indemnisation (90 % ou les 2/3 sous déduction des IJSS ) est calculé en référence à la rémunération brute que le salarié aurait perçue s’il avait travaillé (c. trav. art. D. 1226-1).

Pour les obligations conventionnelles de maintien de salaire, certaines conventions collectives précisent le salaire de référence ou les primes devant être pris en compte.

D’une manière générale, il faut en principe tenir compte des variables dans le salaire de référence, la question étant parfois de savoir « comment ».

En cas de rémunération variable, l’administration avait précisé en son temps, pour l’indemnisation complémentaire prévue par le code du travail, que le salaire de référence doit être « significatif » au regard de l’absence indemnisée, ce qui peut conduire à retenir soit la période de paye précédant l’absence, soit une période plus longue, tel que le salaire moyen perçu sur les 3 mois précédents (circ. min. du 27 juin 1978).

L’idée générale, c’est que le salaire de référence doit être significatif. Pour une convention collective prévoyant que le salarié percevra son salaire plein sans apporter aucune précision sur la période de référence à prendre en compte pour évaluer ce salaire, il a ainsi été jugé que l’employeur doit tenir compte de la part variable de la rémunération et prendre en compte le salaire moyen des 12 derniers mois comme le préconisait la salariée, et non les 3 derniers mois précédant le congé de maternité dans la mesure où la salariée n’avait réalisé aucun chiffre d’affaires sur cette dernière période (cass. soc. 5 juin 2019,n°18-12862).

Sur ce point de la rémunération variable  la Cour de cassation a rendu une décision le 14 mai 2025. Dans cette affaire lesalarié et l’employeur ne s’accordaient pas sur la période à retenir pour calculer un salaire de référence « significatif ».

Une affaire centrée sur la notion d salaire de référence « significatif » à retenir

Dans cette affaire, un salarié a occupé successivement plusieurs fonctions commerciales avant d’être licencié. Engagé en qualité de technico-commercial en 2012, il a été nommé responsable commercial et des ventes de l’entreprise en 2014, pour de nouveau occuper des fonctions de technico-commercial à partir d’avril 2016. Placé en arrêt maladie à compter du 24 juin 2016 de manière ininterrompue jusqu’à la fin de son contrat de travail, il a finalement été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en mars 2017.

Ce dernier réclamait des rappels de salaire et de commissions, estimant que le maintien de salaire dont il avait bénéficié lors de son arrêt maladie n’avait pas été correctement calculé.

La cour d’appel avait fait droit à ses demandes, en condamnant l’employeur à lui verser une somme au titre du maintien de salaire pour la période du 24 juin au 24 septembre 2016.

Les juges avaient retenu que :

  • La rémunération du salarié ayant baissé au cours des dernières années ou des derniers mois, la seule référence à la moyenne des rémunérations des 3 derniers mois n’était pas significatifs ;
  • Le salarié n’avait de nouveau occupé ses fonctions de technico-commercial que pendant 2 mois, la période de référence devant ainsi être élargie ;
  • La période de référence devait donc porter sur les rémunérations perçues au cours des 12 derniers mois précédant l’arrêt de travail.

Sans rentrer dans les détails des arguments de l’employeur, on notera toutefois que celui-ci, contestant la décision de la cour d’appel, avait précisé que la rémunération du salarié sur les mois, voire les années précédant son congé maladie, était en baisse car celui-ci se désinvestissait de son travail et n’avait plus les mêmes performances commerciales. Dès lors, calculer le salaire de référence sur les 12 mois précédant son arrêt maladie conduirait à une indemnisation supérieure à la rémunération qu’il aurait perçue s’il avait travaillé… (NDLR : il était redevenu technico-commercial par avenant en date du 1er avril 2016).

Réponse de la Cour de cassation : dans cette affaire, la moyenne des rémunérations sur 3 mois n’est pas significative

Ces arguments ne sont pas retenus par la Cour de cassation, qui, repartant de la convention collective applicable (celle des salariés du négoce des matériaux de construction du 8 décembre 2015, art. 3.4.1), souligne que le salarié ayant une ancienneté inférieure à 4 ans avait droit au maintien de son salaire pendant 90 jours au taux de 100 %.

Les juges rappellent ensuite, toujours selon la convention collective applicable, que la rémunération à prendre en considération est celle correspondant à l’horaire pratiqué dans l’entreprise pendant l’absence de l’intéressé, l’indemnité étant égale au montant de la rémunération nette (heures supplémentaires comprises) que le salarié aurait perçue s’il avait travaillé, à l’exclusion des primes ou indemnités liées directement à la présence effective dans l’entreprise pendant la période d’indemnisation, la CSG et la CRDS restant à la charge du salarié.

La rémunération du salarié étant en partie composée d’une part variable, la Cour de cassation en déduit que le salaire de référence devait être significatif, suivant ainsi une jurisprudence bien établie.

Or la rémunération du salarié avait baissé au cours des dernières années ou des derniers mois, le salarié n’ayant de nouveau occupé ses fonctions de technico-commercial que pendant 2 mois avant d’être placé en arrêt maladie.

Dès lors, la seule référence à la moyenne des rémunérations des 3 derniers mois n’était pas significatifs : la cour d’appel pouvait donc juger que la période de référence devait porter sur les rémunérations perçues au cours des 12 derniers mois précédant l’arrêt de travail.

La demande de l’employeur est donc rejetée.

Licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement : précisions jurisprudentielles sur la clause de non-concurrence

 

Cass. soc. 29 avril 2025, n° 23-22.191

La clause de non-concurrence, qui interdit au salarié d’exercer certaines activités professionnelles après la rupture de son contrat de travail, constitue un enjeu majeur dans les relations contractuelles. Son application implique un équilibre délicat entre la protection des intérêts de l’employeur et la garantie de la liberté professionnelle du salarié.

Dans un arrêt du 29 avril 2025 (Cass. soc. n° 23-22.191 FS-B), la Cour de cassation apporte une clarification cruciale concernant les modalités de renonciation à cette clause en cas de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Rappel des faits

Dans cette affaire, un salarié avait été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, rendant impossible tout reclassement au sein de l’entreprise. Son licenciement a donc été prononcé sans préavis, conformément aux dispositions légales relatives à l’inaptitude.

Cependant, ce licenciement impliquait une clause de non-concurrence. L’employeur lui avait notifié la levée de cette clause 12 jours plus tard, au sein de son certificat de travail. Ce dernier estimant que sa renonciation était valable puisqu’intervenue dans les 20 jours suivant la notification de la rupture, et ce, conformément à l’article 12 du contrat de travail du salarié. Le salarié a alors contesté cette décision, arguant que la clause était toujours applicable faute d’une renonciation dans les délais impartis.

Saisie du litige, la Cour de cassation a tranché en faveur du salarié. Elle a rappelé que la renonciation à la clause doit impérativement intervenir avant la date de départ effectif, et qu’à défaut, l’employeur reste tenu de verser l’indemnité compensatrice.

 

Une exigence renforcée en cas d’inaptitude sans préavis

L’arrêt du 29 avril 2025 souligne que la date du départ effectif de l’entreprise est déterminante. Elle marque l’entrée en vigueur de la clause de non-concurrence, l’exigibilité de la contrepartie financière et le point de départ de la période de référence pour le calcul de l’indemnité compensatrice.

Si l’employeur ne respecte pas ce délai, il demeure redevable du paiement de l’indemnité pour toute la période où la clause reste applicable. Le salarié, quant à lui, peut exiger cette contrepartie financière dès lors qu’il respecte l’interdiction de concurrence après son départ.

Obligations et conséquences pratiques pour l’employeur

L’employeur doit donc faire preuve de diligence et formaliser sa décision de renonciation au plus tard au jour du départ effectif du salarié, indépendamment des clauses contractuelles ou des dispositions contraires.

Un manquement à cette exigence expose l’entreprise à deux conséquences majeures :

  1. Le maintien de la clause de non-concurrence, limitant l’employabilité du salarié.
  2. L’obligation de verser une indemnité compensatrice, qui peut représenter une charge financière importante.

Conclusion

L’arrêt de la Cour de cassation du 29 avril 2025 renforce l’exigence de réactivité imposée aux employeurs en cas de licenciement pour inaptitude sans préavis. Il souligne l’importance d’une gestion anticipée et rigoureuse de la clause de non-concurrence, afin de prévenir tout contentieux et d’assurer le respect des droits du salarié.

Ainsi, les employeurs doivent faire preuve d’une vigilance accrue et s’assurer que la renonciation à la clause de non-concurrence soit notifiée dans les délais prescrits, sous peine de devoir verser une indemnité compensatrice. Cette décision rappelle donc l’importance d’une approche méthodique et proactive dans la gestion des obligations contractuelles, quel que soit le mode de rupture du contrat

 

Neutralisation du temps partiel thérapeutique : un nouveau tournant pour le calcul de l’indemnité de licenciement

 

Cass. soc. 05 mars 2025, n° 23-20.172

Une avancée majeure en faveur des salariés fragilisés

Par un arrêt rendu le 5 mars 2025, la Cour de cassation poursuit l’élargissement de la protection des salariés ayant connu des arrêts maladie ou des aménagements de poste pour raisons de santé. Elle confirme que le temps partiel thérapeutique doit être neutralisé dans le calcul de l’indemnité de licenciement, même s’il est suivi d’un arrêt maladie prolongé.

Cette décision vient renforcer une jurisprudence favorable aux salariés, dans un contexte où la santé au travail et le respect du principe de non-discrimination sont plus que jamais au cœur des préoccupations.

Rappel du cadre légal et jurisprudentiel

Le Code du travail (article L.1234-9) prévoit que l’indemnité de licenciement est calculée sur la base de la rémunération brute perçue par le salarié au cours des 12 derniers mois précédant la rupture du contrat (ou des 3 derniers mois si plus favorable).

Jusqu’ici, les juges avaient admis que les périodes d’arrêt maladie devaient être neutralisées, c’est-à-dire que le calcul de l’indemnité devait s’effectuer sur la rémunération antérieure à l’arrêt de travail, afin de ne pas pénaliser le salarié affaibli. Depuis un arrêt du 21 juin 2023, la Cour de cassation avait étendu ce principe au temps partiel thérapeutique. L’arrêt du 5 mars 2025 vient en renforcer la portée.

Ce que dit la Cour de cassation dans l’arrêt du 5 mars 2025

Dans cette affaire, une salariée avait été placée en temps partiel thérapeutique à compter de 2017, puis en arrêt maladie complet à partir de 2018. Licenciée deux ans plus tard pour inaptitude, elle réclame une indemnité de licenciement calculée sur ses salaires d’avant son temps partiel thérapeutique.

La cour d’appel avait rejeté sa demande, estimant que seul un accord collectif pouvait prévoir cette neutralisation.

Mais la Cour de cassation casse cette décision. Elle affirme que :

« Lorsque le licenciement intervient postérieurement à une période d’arrêt de travail ayant elle-même succédé à une période de temps partiel thérapeutique, l’indemnité de licenciement doit être calculée sur le salaire perçu avant la mise en place de ce temps partiel. »

Quels impacts concrets pour les employeurs ?

  1. Neutralisation automatique, sans condition conventionnelle

L’employeur ne peut plus exiger la présence d’une clause spécifique dans un accord collectif. La neutralisation s’impose dès lors qu’un temps partiel thérapeutique a été mis en place, suivi d’un arrêt, avant le licenciement.

  1. Une assiette de calcul revalorisée pour le salarié

L’indemnité doit être calculée sur la rémunération antérieure au temps partiel thérapeutique, selon la méthode la plus avantageuse (moyenne sur 12 ou 3 mois).

  1. Un risque de contentieux accru

Les erreurs de calcul sur les indemnités peuvent entraîner des rappels de salaire ou des contentieux prud’homaux. Il est essentiel pour l’employeur de bien tracer les périodes de TPT et d’arrêt.

 

< Précèdent >